C'est le régime de protection le plus léger, puisque la personne y conserve en principe l'exercice de ses droits. La sauvegarde de justice constitue un régime de protection minimale, dont l'intérêt essentiel est de pouvoir être mis en place très rapidement (C. civ. art. 433 à C. civ.439).
Compte tenu de ces caractéristiques, la sauvegarde de justice s'adresse surtout à deux catégories de personnes :
- celles qui sont en instance de placement sous tutelle ou sous curatelle, lorsque l'urgence impose la mise en place immédiate d'une mesure de protection ;
- celles qui n'ont besoin que d'une protection temporaire (à la suite par exemple d'un accident) ou limitée à l'accomplissement de certains actes déterminés.
Lorsqu'il est saisi d'une demande de mise sous tutelle ou sous curatelle, le juge des tutelles peut placer le majeur sous sauvegarde pendant la durée de la procédure s'il constate que l'intéressé a un besoin urgent de protection. En pratique, la personne qui demande l'ouverture de la tutelle ou de la curatelle indique, dans sa requête, si le majeur a besoin d'être immédiatement protégé.
Le juge peut également placer sous sauvegarde de justice un majeur qui a besoin d'une protection temporaire ou d'être représenté pour l'accomplissement de certains actes déterminés. Lorsque la famille a mis en place une organisation efficace autour du majeur, il est ainsi possible d'éviter une tutelle ou une curatelle : une sauvegarde est ouverte le temps nécessaire à l'accomplissement d'un acte ou d'une série d'actes importants (par exemple la vente de biens ou le déblocage d'un placement pour financer le séjour en maison de retraite du majeur). Cette mesure peut également être utile lorsqu'un majeur est momentanément incapable d'accomplir les actes nécessaires à la gestion de ses affaires, par exemple après un accident. En plaçant le majeur sous sauvegarde, le juge peut confier à un mandataire le pouvoir d'accomplir ces actes.
Dans les deux cas, le juge adresse sa décision au procureur de la République du domicile du majeur pour qu'il l'inscrive sur le registre des sauvegardes. Il communique également sa décision à l'intéressé et à la personne qui a demandé l'ouverture d'une mesure de protection. La protection prend effet dès la décision du juge des tutelles. Sa décision ne peut faire l'objet d'aucun recours. Elle est exécutoire de plein droit même si elle n'a pas été notifiée au majeur (Cass. 1e civ. 29-6-2011 no 10-18.960 : BPAT 5/11 inf. 279).
La sauvegarde peut être mise en place sans décision du juge, par une simple déclaration (CSP art. L 3211-6) :
- du médecin qui constate que la personne à qui il donne des soins a besoin d'être protégée ; il peut en faire la déclaration au procureur de la République du lieu de traitement. Si elle est accompagnée d'un avis conforme d'un psychiatre, cette déclaration a pour effet de placer la personne sous sauvegarde ;
- du médecin qui constate qu'une personne soignée dans un établissement de santé a besoin pour les mêmes raisons d'être protégée dans les actes de la vie civile ; il a l'obligation d'en faire la déclaration au procureur de la République. Cette déclaration a pour effet de placer le malade sous sauvegarde de justice.
La déclaration est adressée au procureur de la République du lieu où l'intéressé est soigné.
SavoirDès qu'il reçoit la déclaration aux fins de sauvegarde, le procureur de la République la mentionne sur un registre spécialement tenu à cet effet : le registre des sauvegardes de justice. La protection entre alors immédiatement en vigueur.
Ni le médecin ni le procureur de la République n'ont l'obligation d'informer l'intéressé ou sa famille de la mesure prise. Il est donc tout à fait possible d'être placé sous sauvegarde de justice sans le savoir !
La sauvegarde de justice a une durée maximale d'un an avec un seul renouvellement possible par le juge des tutelles.
Si la sauvegarde a été ouverte sur décision judiciaire, le juge peut à tout moment en ordonner la mainlevée si le besoin de protection cesse.
Si la sauvegarde de justice a été ouverte sur déclaration médicale, elle peut prendre fin par déclaration faite au procureur de la République si le besoin de protection temporaire cesse ou par radiation de la déclaration médicale sur décision du procureur de la République.
Dans tous les cas, à défaut de mainlevée, de déclaration de cessation ou de radiation de la déclaration médicale, la sauvegarde de justice prend fin :
- par l'ouverture d'une mesure de curatelle ou de tutelle, à partir du jour où la nouvelle mesure de protection prend effet ;
- à l'expiration du délai ou après l'accomplissement des actes pour lesquels elle a été ordonnée.
La caducité de la sauvegarde au bout d'un an est automatique (pour une illustration, CA Grenoble 16-2-2011 no 10/04177, ch. des affaires familiales, solution rendue à propos d'une sauvegarde judiciaire mais à notre avis également valable pour une sauvegarde médicale).
Il n'y a qu'un seul moyen : demander au procureur de la République du domicile du majeur un extrait du registre des sauvegardes. Mais cette information est relativement confidentielle puisque seuls sont autorisés à demander des extraits du registre :
- les personnes qui peuvent demander l'ouverture d'une tutelle : voir no 43223 ;
- les avocats, notaires et huissiers si leur demande est motivée ;
- les autorités judiciaires.
Les autres personnes n'ont aucun moyen de connaître l'existence de la sauvegarde de justice.
Votre courrier au procureur de la République pourra être ainsi rédigé : « Je soussignée Lucie Dupont, demeurant 42 rue de Villiers 92300 Levallois-Perret, vous prie de bien vouloir me communiquer, en application de l'article 1251-1 du Code de procédure civile, un extrait du registre des sauvegardes de justice concernant mon mari Pierre Dupont, né le 24 décembre 1928 à Paris 16e , demeurant 42 rue de Villiers 92300 Levallois-Perret ».
Celui qui est placé sous sauvegarde de justice conserve en principe l'exercice de ses droits. Il peut donc pratiquement tout faire dans les mêmes conditions qu'un majeur non protégé : acheter, louer, vendre, donner, se marier, voter, etc.
Par exception :
- le majeur ne peut faire aucun des actes pour lesquels un mandataire spécial a été désigné (no 43109) ;
- il doit demander l'autorisation du juge des tutelles pour tous les actes concernant son logement et les meubles qu'il contient (no 43005) ;
- il ne peut pas divorcer (C. civ. art. 249-3). Cela s'explique par le fait que la sauvegarde de justice est en principe temporaire : soit l'intéressé va redevenir prochainement capable et pourra divorcer dans les conditions du droit commun, soit il est en cours de placement sous curatelle ou sous tutelle et il divorcera selon les règles particulières prévues dans le cadre de ces régimes ;
- l'autorisation du juge est semble-t-il requise en cas de changement ou de modification du régime matrimonial du majeur protégé (C. civ. art. 1397, al. 7, visant une « mesure de protection juridique » sans distinction).
Signalons également que, si le majeur sous sauvegarde conserve ses droits civiques et politiques, il ne peut pas être juré (CPP art. 256, 8).
Si le divorce est impossible pendant la sauvegarde de justice, le juge peut prendre toutes les mesures provisoires ou les mesures urgentes qui se justifient. Il peut ainsi organiser la séparation des époux le temps par exemple que la tutelle ou la curatelle soit mise en place.
En théorie, rien ne s'oppose à ce que l'intéressé gère lui-même ses biens. Cependant, la sauvegarde de justice étant souvent décidée à un moment où le majeur est hospitalisé, certaines personnes peuvent être amenées à intervenir dans ses affaires.
La personne protégée a pu, avant son placement sous sauvegarde, nommer un mandataire pour gérer tout ou partie de ses affaires : remplir ses feuilles de sécurité sociale, gérer ses comptes bancaires, etc. Ce mandat continue de produire ses effets après le placement du majeur sous sauvegarde de justice sauf si le juge décide de le révoquer ou de le suspendre.
Le majeur ne peut pas, en revanche, nommer un mandataire après son placement sous sauvegarde.
Certaines personnes peuvent intervenir spontanément dans les affaires de la personne protégée. C'est le cas par exemple du voisin qui fait réparer la fuite d'eau ou recueille le chat ; on parle alors de gestion d'affaires. Le gérant peut demander le remboursement des frais qu'il a exposés.
L'intervention de tiers est parfois obligatoire. C'est le cas, s'il y a urgence, pour les personnes qui sont autorisées à demander l'ouverture d'une tutelle ou d'une curatelle (liste au no 43223) et qui ont connaissance de la sauvegarde de justice. Elles ont l'obligation de faire les actes nécessaires à la préservation du patrimoine de la personne protégée, par exemple payer l'assurance habitation arrivée à échéance pendant que le majeur est hospitalisé. La même obligation incombe à la personne ou à l'établissement qui héberge le majeur.
Si l'application des règles indiquées ci-dessus est insuffisante, le juge des tutelles peut, après avoir placé le majeur sous sauvegarde de justice (CA Douai 16-6-2010 no 10/001013), charger un tiers, appelé mandataire spécial, d'effectuer ponctuellement un ou plusieurs actes déterminés pour le compte du majeur : conclure un bail, percevoir des loyers, etc. La personne sous sauvegarde perd la capacité d'accomplir les actes entrant dans les pouvoirs du mandataire. Elle conserve tous ses autres droits.
Le recours à un mandataire spécial est fréquent lorsque le majeur fait l'objet d'une hospitalisation de longue durée et/ou est en instance de placement sous tutelle ou curatelle.
Les pouvoirs du mandataire sont définis par le juge des tutelles. Il peut lui confier des actes déterminés de gestion du patrimoine du majeur, y compris la vente de biens, et/ou une mission de protection de la personne du majeur. Le mandataire peut aussi recevoir pour mission d'exercer les actions en nullité et en réduction exposées nos 43009 et 43112 s.
En contrepartie de ces pouvoirs, le mandataire a l'obligation de rendre compte de l'exécution de son mandat au majeur et au juge des tutelles selon les règles établies pour la tutelle.
C'est essentiellement une protection a posteriori. Le majeur ayant conservé l'exercice de ses droits, les actes qu'il accomplit sont en principe valables. Toutefois, si les actes qu'il a passés lui sont préjudiciables, leur annulation pourra être obtenue assez facilement.
La loi distingue deux situations différentes : la lésion et l'engagement excessif.
Il y a lésion si la personne protégée a acheté trop cher, vendu trop bon marché, loué à des conditions économiquement anormales, etc. La sanction sera l'annulation du contrat par le juge (on parle de rescision), ce qui aura pour effet de remettre les choses en l'état : l'incapable va récupérer l'argent versé, le bien vendu, l'appartement loué, etc.
Il y a engagement excessif lorsque l'acte passé n'est pas intrinsèquement déséquilibré mais présente un caractère inutile ou disproportionné pour le majeur protégé. Lorsque c'est possible, l'acte est maintenu tout en étant ramené à des proportions raisonnables. Par exemple, est excessif l'achat en 2 mois de biens immobiliers pour plusieurs millions d'euros et de plus de 10 voitures de luxe hors de proportion avec les besoins du majeur (Cass. 1e civ. 28-5-2015 no 14-17.324). Si sa réduction n'est pas possible, l'acte est annulé.
Si le majeur est placé sous tutelle ou sous curatelle dans les deux ans de l'acte, l'acte pourra aussi être contesté dans les conditions étudiées no 43265.
SavoirLes actes accomplis par un majeur sous sauvegarde peuvent être annulés pour trouble mental dans les conditions exposées no 43009 avec toutefois une particularité pour les héritiers. Il n'est pas nécessaire que l'acte ait porté en lui-même la preuve d'un trouble mental ou qu'une action en vue du placement de l'intéressé sous tutelle ou curatelle ait été ouverte. Le simple fait que le majeur ait été sous sauvegarde les autorise à agir.
Du vivant du majeur, seul le majeur ou, à la demande du juge des tutelles, le mandataire spécial peuvent demander l'annulation ou la réduction de l'acte ; ses héritiers peuvent agir après le décès de la personne protégée.
L'action doit être engagée dans un délai de cinq ans qui démarre le jour où le majeur aurait été en situation de refaire l'acte valablement. Si ce délai n'a pas commencé à courir du vivant du majeur, ses héritiers ont cinq ans à compter de son décès pour agir.
Que faut-il prouver ? D'abord, et bien sûr, que la personne était sous sauvegarde de justice au moment où elle a passé l'acte, en produisant un extrait du registre des sauvegardes. A défaut, c'est le droit commun qui s'applique (rappelons qu'il faut alors prouver l'insanité d'esprit au moment de l'acte et qu'en principe seul le majeur est autorisé à agir).
Ensuite, il faut prouver que l'acte est préjudiciable au majeur. La preuve peut se faire par tous moyens : témoignage, courrier, etc. En pratique, une expertise est souvent nécessaire.
Pour décider d'annuler, de réduire ou au contraire de maintenir un acte passé par un majeur sous sauvegarde de justice, les juges prennent en considération les critères suivants :
- l'utilité ou l'inutilité de l'opération pour le majeur ;
- l'importance ou la consistance du patrimoine du majeur protégé ;
- la bonne ou la mauvaise foi de la personne qui a traité avec le majeur.
Le majeur peut parfois engager une action en responsabilité civile contre la personne avec laquelle il a contracté, si cette dernière a commis une faute. Par exemple, il a été jugé qu'une banque avait commis une faute en accordant à un couple dont la déficience intellectuelle était évidente un prêt qu'il n'avait pas pu rembourser. La banque a été condamnée à verser au couple des dommages-intérêts.
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