Le Conseil constitutionnel admet que les dispositions attribuant à certains grands édifices historiques un droit à l’image puissent prévoir que l’utilisation à des fins commerciales des prises de vue devra être autorisée et donner lieu au paiement d’une éventuelle redevance.
1. Il est fréquent que des entreprises (par exemple, des éditeurs d’ouvrages, de revues ou de cartes postales) fassent photographier des monuments historiques afin de commercialiser les images ainsi obtenues. Jusqu’à l’intervention de la loi 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, la législation ne comportait aucune règle encadrant cette pratique. En effet, les œuvres architecturales ne sont protégées que par le droit moral de l’auteur (CPI art. L 112-2, 7°) et, à certaines exceptions près (notamment, la Pyramide du Louvre), les monuments ne bénéficient généralement pas d’une telle protection.
L’affaire du château de Chambord
2. Un contentieux récent a mis en évidence cette lacune de la législation. Dans le cadre d’une campagne publicitaire, une grande marque de bière s’était servie de photographies du château de Chambord pour associer l’un de ses produits à la reproduction de l’édifice. Or, le château appartenant au domaine public de l’Etat, l’établissement gestionnaire réclama à l’entreprise la redevance due pour toute utilisation privative du domaine public (CGPPP art. L 2125-1).
Les titres de recouvrement émis par l’établissement furent contestés auprès de la juridiction administrative. La cour d’appel estima qu’ils étaient infondés. Elle jugea que l’image d’un bien domanial ne se confond pas avec ce bien lui-même, de sorte qu’elle ne relève pas des règles applicables aux dépendances immobilières du domaine public (CAA Nantes 16-12-2015 n° 12NT01180).
Le nouveau régime des domaines nationaux
3. La question fut réexaminée à l’occasion des débats parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi du 7 juillet 2016. Celle-ci a notamment introduit dans le Code du patrimoine des dispositions permettant d’assurer la conservation et la restauration par l’Etat des domaines nationaux. Il s’agit d’« ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la nation et dont l’Etat est, au moins pour partie, propriétaire » (C. patr. art. L 621-34).
Les parties de ces ensembles qui appartiennent à l’Etat ou à l’un de ses établissements publics sont inaliénables et imprescriptibles (art. L 621-36). Elles sont de plein droit classées monuments historiques (art. L 621-37). Les parties d’un domaine national appartenant à une autre personne publique ou à une personne privée font automatiquement l’objet d’une mesure d’inscription au titre de la législation des monuments historiques (art. L 621-38).
La liste des domaines nationaux ainsi protégés est fixée par un décret 2017-720 du 2 mai 2017 (C. patr. art. R 621-100). Elle comprend six ensembles parmi lesquels le domaine de Chambord, celui du Louvre et des Tuileries et le palais de l’Elysée. Le domaine national de Versailles avait déjà été doté auparavant d’un régime comparable.
Une extension législative du droit à l’image
4. Au cours de la discussion du projet de loi, des sénateurs déposèrent un amendement relatif au régime des domaines nationaux. Devenu l’article L 621-42 du Code du patrimoine, le texte soumet à l’autorisation préalable du gestionnaire concerné l’utilisation à des fins commerciales , sur tout support, de l’image des immeubles situés dans les domaines nationaux. Cette autorisation prend la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat. Elle peut ou non être assortie de conditions financières. Si elle est exigée, la redevance doit être calculée de façon à tenir compte des « avantages de toute nature » procurés au titulaire de l’autorisation.
Le législateur a donc transposé au bien immatériel que constitue l’image obtenue à l’aide d’une prise de vue, le dispositif classique de protection des biens matériels du domaine public. Il a fondé cette solution sur la notion spécifique de droit à l’image. On observe cependant que la jurisprudence civile fait dériver cette notion du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 9 du Code civil, plutôt que du droit de propriété (en ce sens, Cass. ass. plén. 7-5-2004 n° 02-10.450 : Bull. civ. n° 10).
La validation pure et simple du Conseil constitutionnel
5. Saisi par les associations Wikimédia France et La Quadrature du Net d’un recours contre l’article R 621-100 du Code du patrimoine, le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui mettait en cause l’article L 621-42 de ce Code (CE 25-10-2017 n° 411005).
Le juge constitutionnel a écarté sans grandes hésitations les arguments que soulevaient les associations. Celles-ci soutenaient notamment que les dispositions contestées portaient atteinte à la liberté d’entreprendre, au droit de propriété et au principe d’égalité devant la loi. Elles faisaient aussi valoir que les auteurs de la loi du 7 juillet 2016 n’avaient pas défini avec suffisamment de précision les conditions d’application de l’article L 641-42.
6. La décision du 2 février 2018 a répondu de façon globale à ces différentes critiques.
Le Conseil constitutionnel a d’abord souligné que le législateur avait poursuivi deux objectifs
d’intérêt général : éviter que l’exploitation commerciale de l’image d’un édifice des domaines nationaux n’affecte le « caractère » du bien ; permettre la valorisation économique du patrimoine en cause.
Par ailleurs, l’exigence d’une autorisation
préalable a été considérée comme proportionnée
aux buts recherchés. En effet, outre que cette formalité ne s’impose que dans l’hypothèse d’une utilisation commerciale de la prise de vue, elle subit des exceptions dans les cas énumérés par le texte : exercice de missions de service public ; fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité. Le juge constitutionnel a encore indiqué que l’autorisation ne peut être refusée par le gestionnaire du domaine national que si l’exploitation commerciale envisagée porte effectivement atteinte à l’image de l’édifice. Il a spécifié que le montant de la redevance devrait être déterminé conformément au principe d’égalité.
Enfin, les associations tentaient de se prévaloir d’un principe doté, selon elles, d’une valeur constitutionnelle : à savoir que l’exclusivité des droits patrimoniaux attachés à une œuvre intellectuelle
doit nécessairement s’éteindre à l’issue d’un certain délai. Mais, sans reconnaître l’existence d’un tel principe, le Conseil constitutionnel a simplement relevé que l’article L 641-42 n’avait pas pour objet de limiter l’exercice d’un droit patrimonial. Il s’est ainsi aligné sur la position de la Cour de cassation qui refuse de déduire le droit à l’image du droit de propriété.
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